vendredi 30 mars 2018

[Actualité] Nouvelles prigentiennes

AGENDA

 A Binic : le samedi 31 mars et le dimanche 1er avril, au Festival « Les Escales », 2 Quai de Courcy, 22520-Binic (secretariatdesescales@gmail.com). Signature, lecture, discussion.

Samedi 07 avril, à 18 h, à la Maison de la Poésie de Paris, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris (01 44 54 53 00). Autour de Christian Prigent, Trou(v)er sa langue, actes du colloque de Cerisy « Christian Prigent ». Table ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Fabrice Thumerel. Lectures avec Vanda Benes et Charles Pennequin. Réservation : ici.

Avant des lectures détonantes, la soirée débutera par une table ronde où, en synergie avec Christian Prigent, quelques participants au volume collectif issu du colloque de Cerisy aborderont de façon inattendue l’œuvre majeure de cet escripteur qui troue le mur des discours dominants qu’on appelle « réalité », ce Moderne carnavalesque à la sauce TXT qui dégèle Rabelais pour parler caca, ce sexcriveur qui aime taquiner un Eros cosmicomique...

18h - Table-ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Christian Prigent & Fabrice Thumerel
20h - Lectures de Charles Pennequin et du duo Christian Prigent & Vanda Benes
    
À lire - Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue, Hermann, 2017.
Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie [Carnets de Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et de Météo des plages], éditions de l'Ollave, 2017.
- Chino aime le sport, P.O.L, 2017.
Charles Pennequin, Les Exozomes, P.O.L., 2016.



A Caen : le samedi 14 avril à 17 h, à l’Artothèque, Palais Ducal, Impasse Duc Rollon, 14000-Caen (02 31 85 69 73). Lecture et discussion. Avec Vanda Benes.

Publications
↳"Indésirables" (sonnets), dans les quatre derniers numéros de la revue en ligne Catastrophes.
↳"Chino en mai" : sur Sitaudis, un extrait inédit du Journal de Prigent sur mai 68 qui ne manque pas de piment...
↳ Fin mai 2018, TXT renaît de ses cendres pour un nouveau numéro, le 32e de la collection : sur les 800 exemplaires, beaucoup sont déjà réservés... Il est donc temps de commander en utilisant le bon de commande ci-dessous. Et le 33e numéro est déjà sur les rails !
↳ Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie, éditions de l'Ollave, coll. "Préoccupations", 2017, 70 pages, 14 €.

Ce volume qui emprunte son titre et son sous-titre au cinéma reprend les extraits des Carnets de Grand-mère Quéquette et de Demain je meurs qui avaient d'abord été publiés sur ce blog. La belle édition que propose L'ollave ajoute ceux de Météo des plages. De cinéma il est bel et bien question :

Bresson : "ce qui est beau au cinéma, ce sont les raccords, c'est par les joints que pénètre le cinéma".
Je démarque : ce qui est beau en poésie, ce sont les raccords/rimes, c'est par les joints que pénètre le poétique (le mouvement, le rythme).


On y trouve par ailleurs ce genre de confidence : "Un monde inouï est en instance d'épiphanie dans l'effort au style. Je n'aurai jamais rien écrit qui ne guette cette épiphanie et ne s'efforce de créer les conditions de son effectuation. Rien écrit, ni même, d'ailleurs, rien... vécu" (p. 55).

↳ "La Poésie sur place", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Olivier Penot-Lacassagne & Gaëlle Théval dir., Poésie & performance, éditions Cécile Defaut, janvier 2018, p. 175-187.

Avant tout on retiendra l'analyse de son positionnement dans l'espace des possibles des années 80 (la sociologie bourdieusienne a laissé des traces) : il fallait au jeune poète se démarquer de la performance non verbale, de "l'horizon naturaliste des poètes sonores", de "l'expressionnisme des poètes beatnicks" et de Bernard Heidsieck. Suit sa propre conception de la performance : "Si le public assiste à quelque chose, c'est à un combat d'intensités dans les mots liés, déliés et re-liés par des articulations dynamisées. [...] le surgissement des significations dans la violence du combat des phrases (syntaxes, scènes) et des phrasés (respirations, portées rythmiques et sonores) est pour lui mis en scène, effectué sur place : voilà ce que j'entends par "performance" " (p. 185).

↳ "Comme un éclair dans un ciel fané", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans O. Penot-Lacassagne dir., Beat generation. L'inservitude volontaire, CNRS éditions, mars 2018, p. 293-301.

N'appréciant pas tout le folklore autour des beatnicks, Christian Prigent insiste sur la révélation que
fut pour lui la découverte de Ginsberg à vingt ans : "C'est beaucoup plus difficile de faire de la poésie avec des contenus et un lexique non a priori "poétiques". Mais c'est aussi une chance de faire plus juste (vrai) et plus frais (neuf). La poésie des Beats, c'était cela qu'elle faisait. Pas seulement parce qu'il y avait des obscénités, des trivialités blasphématoires et des déclarations transgressives, mais parce que cette poésie mettait à bas l'idéalisation congénitale du processus poétique" (p. 296). De Burroughs il retient le fameux cut-up (découpage-montage-collage) et la sortie du style comme originalité du créateur.
Mais il finira par trouver leur poétique trop lyrique.



jeudi 4 janvier 2018

Christian Prigent : Paul Otchakovsky-Laurens (1944-2018)

Paul Otchakovsky-Laurens avec Christian Prigent en 2013
Paul Otchakovsky-Laurens a récemment consacré à la passion de toute sa vie un film intitulé Editeur. Une poupée à échelle humaine l'y représente enfant et dédouble la présence à l'écran de l'adulte Otchakovsky-Laurens. Elle hante son parcours comme l'Ange gardien, le Démon de Socrate, voire l'oiseau fidèle perché sur l'épaule de Long John Silver dans L'Île au trésor.

Depuis trente ans j'ai dans mon dos, quand j'écris, un démon amical, sévère et attentif : le regard d'oiseau de Paul est posé sur mes feuillets. Je n'écris rien qui n'en tienne compte et n'espère être à la hauteur de son exigence. Je n'ai rien publié qui n'ait été formé par cette sorte de dialogue silencieux et qui n'ait d'abord été adressé à lui, Paul.

Paul Otchakovsky-Laurens était le meilleur des éditeurs. Son catalogue le prouve. On le sait. On le saura, dans la durée, de mieux en mieux. Georges Pérec, Claude Ollier, Bernard Noël, Hubert Lucot, Valère Novarina, Olivier Cadiot, Christophe Tarkos, Nathalie Quintane, Charles Pennequin (je cite ceux dont je me sens le plus proche — je pourrais en mentionner d'autres, moins proches, mais respectés, parfois admirés) : c'est une bibliothèque, d'ores et déjà patrimoniale.

Il fallait, pour la constituer, beaucoup de clairvoyance, de générosité, de sens d'une modernité capable de se tenir à la hauteur des panthéons anciens. Il fallait du courage, aussi, pour assumer des choix souvent difficiles et résister à la pusillanimité académique du milieu littéraire, à la paresse de la critique, à l'opacité de tel ou tel silence (sur des livres aimés, choisis et passionnément publiés), à la pression des contraintes économiques.

La diversité du catalogue P.O.L ne relève pas d'un éclectisme. Mais de la disponibilité de son maître d'œuvre : attention fraîche, alerte sensible (capable à l'occasion de franchir les limites du goût spontané), sens aigu de ce qui apparaît dans l'imprévu des différences et le mouvement des inventions. Ce dont Paul était convaincu, c'est qu'être un écrivain, c'est travailler la langue pour y former une justesse sensible qui fera sens. Et que cette justesse s'incarne dans une forme stylistique singulière — quoi que cette forme traite comme matériau et quelle que soit l'histoire ou la pensée qui s'y incarne. Enseveli derrière les piles de manuscrits qui occupaient son petit bureau de la rue Saint-André-des-Arts, Paul guettait ce surgissement. Le plus souvent déçu, certes. Mais jamais lassé, toujours capable d'enthousiasme. Et joyeux, si l'emportait cet enthousiasme, de le faire partager.

Ceux que POL a publiés savent quel éditeur il était, et quelle personne. Pas seulement parce qu'ils ont été élus par lui. Mais parce qu'ils ont éprouvé son écoute, sa ferveur amicale. Et joui de cette amitié. Une amitié non répandue, non triviale. Toute d'impeccable courtoisie, de pudeur raffinée, d'attention sans faille, de curiosité pour le travail de l'autre. A chacun de ses auteurs, il savait donner la sensation d'être par lui électivement aimé, soutenu et admiré.

Il disait ne pas vouloir choisir que des livres, mais s'engager sur des œuvres. Et le faisait, avec une fidélité inébranlable, même si moins convaincu par tel ou tel ouvrage, parce que son expérience (et sa modestie) lui faisait penser qu'au bout du compte c'est l'écrivain qui a toujours raison (de faire ce qu'il fait, de poursuivre). Il savait même convaincre tel ou tel d'avancer, contre son propre désespoir, ses doutes, ses pannes. Je me souviens d'un déjeuner avec lui, alors que j'étais dans une misérable phase de dépression post partum après la parution de Commencement (1989). Son invitation à démarrer un nouveau livre. Et l'intuition magnifique qu'il fallait me lancer sur autre chose, ne pas me laisser m'enliser dans la répétition de l'impossible même. Sa formule, mine de rien, entre poire et fromage : « si vous me faisiez un essai ? ». Cela suffit pour convertir la mélancolie en angoisse et, une fois l'angoisse traversée, amorcer la composition de ce qui donna, peu après, Ceux qui merdRent.

Voilà qui suffit, pour aujourd'hui. Il faut se donner au deuil, au silence. Se retourner sur des souvenirs. Méditer à quel point Paul Otchakovsky-Laurens est irremplaçable. C'est peu de dire, on ne le dit que la gorge serrée, qu'il va manquer, que sa disparition est un désastre. On (tous ceux pour qui compte la vitalité inventive de la littérature) n'a pas fini de mesurer l'ampleur catastrophique de cette perte.