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jeudi 23 novembre 2023

[Hommage] In memoriam : Jean-Pierre VERHEGGEN (6 juin 1942 – 8 novembre 2023)

 In memoriam : Jean-Pierre VERHEGGEN (6 juin 1942 – 8 novembre 2023)

 


Dans une lettre du 28/03/1969, juste après leur rencontre, Christian Prigent l’évoque ainsi : « Bien enregistré ta gueule blonde et barbue, sacré Christ rondouillard et belge (« comme ses pieds », disait Baudelaire) » (extrait de lettre faisant partie intégrante de la sélection que Jean-Pierre Verheggen avait présentée à Cerisy en 2014 : « Le « bien touillé » »). C’était le lancement de TXT.


Caricature de Christian Prigent, 1971


 On pourrait voir un précipité de sa trajectoire dans ces titres de recueils : Le Degré Zorro de l’écriture (Christian Bourgois, 1978) ; Ridiculum vitæ précédé de Artaud Rimbur (Gallimard, « Poésie », 2001) ; On n’est pas sérieux quand on a 117 ans (Gallimard, 2001) ; L’Idiot du Vieil-Âge (Gallimard, 2006) ; Un jour, je serai Prix Nobelge (Gallimard, 2013) ; Le Sourire de Mona Dialysa (Gallimard, 2023)…


Verheggen et Prigent, Rome, 1980 (photo de Denis Roche)


 

Inventive et vivifiante, cette œuvre est tout sauf une poésie de divertissement facile. Dès Ceux qui merdRent (P.O.L, 1991), Christian Prigent s’érige à l’encontre d’un certain malentendu :

 

Jean-Pierre Verheggen passe encore généralement pour un écrivain comique, un spécialiste du gag verbal, une sorte de Rabelais ou de Brueghel moderne dont l’œuvre se réduirait à l’alignement gratuit des calembours, cette « fiente de l’esprit », comme disait Hugo. [...]

 

Cet argument a sans doute aujourd’hui d’autant plus de poids que cette manie du jeu de mots facile (voire, comme on dit, « débile ») est devenue une mode d’époque [...] au moins peut-on voir là que la marginalité poétique exerce, mal gré qu’on en ait et quelque « crise » qu’elle traverse, une « influence » réelle [...] (p. 233). 

 

Ce que Verheggen propose, ce ne sont pas quelques calembours choisis (pour leur pertinence, leur réussite) mais des litanies cataclysmiques de calembours devant lesquelles on a envie de crier « n’en jetez plus ! » parce que cet épandage cacophonique et souvent scatologique fait merder tout ce qui nous reste d’assurance quant à la sécurité du goût littéraire. Le flux des calembours nous jette dans une sorte de phrasé à la fois nappé, dérapant et cahotique, une vitesse d’emportement où chaque jeu importe moins que l’énergie du flux lui-même. Cette vitesse a moins pour but la production du sens (entre autres, éventuellement, du sens surprenant que produit chaque calembour) que la résistance panique à la constitution du sens tel que le construit la probabilité croissante des séquences écrites (p. 236).

Prigent et Verheggen, Cerisy, 2014

 

 

 

lundi 13 juin 2022

Retour à St Broc les choux...

Du 17 mai au 17 septembre, Bibliothèque André Malraux de St Brieuc (22), Exposition : Ramages & Plumages. Christian Prigent et le livre d’artiste (1975-2016)

En partenariat avec le Musée d’art et d’histoire. Christian Prigent vit et travaille à Saint-Brieuc, où il est né en 1945. Entamée à la fin des années 1960, son œuvre – l’une des plus singulières et importantes de la littérature française contemporaine – s’est déployée en plus de soixante ouvrages, dans une multitude de genres : poèmes et romans, mais également essais et chroniques, traductions, créations théâtrales et audiovisuelles, performances.

Conçue avec l’auteur, l’exposition propose une exploration de l’oeuvre poétique de Christian Prigent et de ses collaborations avec les artistes.

Exposition accessible aux horaires d’ouverture de la Bibliothèque André-Malraux

Bibliothèque André-Malraux, 44 rue du 71e R.I., Saint-Brieuc – 02 96 62 55 19 Fermeture estivale :  du 30 juillet au 15 août – https://mediathequesdelabaie.fr






AUTOUR DE L’EXPOSITION : 

Visites commentées à 15h, par les bibliothécaires

Mercredi 15, samedi 18, mercredi 22, mercredi 29 juin ; samedi 2, mercredi 13, samedi 16 juillet; mercredi 17, mercredi 24 août ; samedi 10, samedi 17 septembre (avec Christian Prigent).


► Comme si vous étiez à la Bibliothèque de Saint-Brieuc le 20 mai dernier : assistez à une lecture de Christian PRIGENT et de Vanda BENES drôle et satirique.


► Prochain événement :



► Autres événements estivaux :



Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles.  

Inscription recommandée.

Le Groupe d’Education Nouvelle des Côtes d’Amor  invite Christian Prigent à trois conversations  autour de ses trois derniers livres

Informations : 3motsdeplus@gmail.com – 06 77 68 56 82











jeudi 25 mars 2021

Sylvain Santi, Cerner le réel. Christian Prigent à l'oeuvre

 Sylvain Santi, Cerner le réel. Christian Prigent à l’œuvre, préface de Michel Surya, ENS éditions, Lyon, hiver 2019-2020, 366 pages, 29 €, ISBN : 979-10-362-0186-8.

« Par où entrer dans l’œuvre imposante, qui s’imposera,
de Christian Prigent ? Par ce livre de Sylvain Santi par exemple,
où tout entre déjà, en totalité ou en partie, de ce qui la constitue :
poèmes, récits, essais, théories et… politique. De ce qui fait
ses liens, parfois contradictoires » (Préface de Michel Surya, p. 21).

Dans une édition soignée, préfacé par Michel Surya qui développe les rapports entre poétique et politique, voici le premier essai sur l’œuvre d’un des poètes français les plus reconnus : suite au premier volume collectif paru en 2017 chez Hermann, Christian Prigent : trou(v)er sa langue, le livre que propose Sylvain Santi, spécialiste de Bataille qui travaille depuis des années sur l’œuvre de Prigent, se concentre en quatorze chapitres répartis en deux parties sur une question centrale – le « réel » – déjà abordée mais pas de façon aussi fouillée.

Au reste, il ne s’agit pas d’une monographie : s’adaptant à son objet, l’auteur ne cherche nullement une impossible exhaustivité, sachant qu’on ne peut cerner cette œuvre insaisissable qu’en esquissant des pistes, suggérant qu’il y a de l’innommable, déroulant des fils que les lecteurs devront tisser pour construire leur propre parcours. Son originalité est d’y entrer par de petites mais subtiles portes : le chapitre liminaire d’un essai marquant (« Lucrèce à la fenêtre », Salut les anciens, P.O.L, 2000), qui constitue « une fenêtre ouverte sur l’œuvre de Prigent » (p. 23) ; divers écrits et entretiens pas encore bien connus, ; un Journal de l’œuvide et un Album de Commencement mis en regard d’une première fiction, précisément intitulée Commencement(P.O.L, 1989), qui signe le vrai démarrage de ce qu’on appelle une carrière… Ainsi, un peu comme l’entreprise proustienne prend forme et se développe à partir de la fameuse tasse de thé, toute la première partie du livre découle de la lecture d’un seul chapitre de Salut les anciens : cette brèche offre une véritable ouverture vers l’œuvre entière, prolongée et approfondie, dans la seconde partie, par d’autres saillies du côté de Ce qui fait tenir, du Journal de l’œuvide et des premières fictions. À la synthèse surplombante, au survol synthétique, aux vains propos généralisateurs, l’auteur préfère une critique immanente qui suit les textes sélectionnés au plus près, creusant son propre sillon avec rigueur et méthode : les analyses et références sont pertinentes, les perspectives très souvent inédites, qui s’appuient sur un solide outillage philosophique, rhétorique/linguistique et psychanalytique. Avec Sylvain Santi, manière de critiquer et « manière de flâner » (23) vont ainsi de pair. Dans son journal intellectuel qui vient d’être publié sous le titre de Point d’appui 2012-2018, Christian Prigent y voit « un programme d’écriture et sa réalisation méticuleuse » (P.O.L, p. 257).

L’intérêt d’une telle démarche réside également dans un autre type d’ouverture : aux divers états du champ poétique comme à des figures majeures – telles Lucrèce, Scarron, Baudelaire, Sade, Bataille, ou encore Ponge.

On peut toutefois regretter que les chapitres 2 (« Hériter du père ») et 3 (« Modernité »)  ne soient pas plus approfondis et un peu trop proches des analyses de l’auteur lui-même (trop de citations sans doute) et recroisant parfois des études déjà publiées. On est d’ailleurs surpris de n’y trouver aucune référence à la critique prigentienne, comme si l’on pouvait écrire ex nihilo sur une œuvre déjà consacrée.



mardi 12 février 2019

Le nouveau TXT est arrivé !


Samedi 23 février 2019, de 15h à 17h au Reid Hall (4, rue de Chevreuse 75006 Paris) : soirée TXT, avec Jacques Demarcq, Bruno Fern, Typhaine Garnier Christian Prigent et Yoann Thommerel.
Et les voix de : Eric Clémens, Alain Frontier, Valère Novarina, Charles Pennequin et Jean-Pierre Verheggen.





Un quart de siècle après le dernier numéro et un demi après sa création post-soixante-huitarde, voici le « ressusciTXT » – selon le bon mot de Christian Prigent dans sa dédicace personnalisée –, revoici les TXThéoristes de la « communauté dormante » (p. 1)... Tous les principaux acteurs d’une aventure collective (1969-1993)[1]qui avait à ce point marqué la fin du siècle qu’elle avait donné naissance à un véritable label : Philippe Boutibonnes, Éric Clémens, Jacques Demarcq, Alain Frontier, Pierre Le Pillouër, Valère Novarina, Christian Prigent et Jean-Pierre Verheggen ; les artistes de Supports/ surfaces ne manquent pas à l’appel non plus, avec Pierre Buraglio qui donne de nouveaux contours au sigle « TXT » trente-cinq ans après, et les créations toniques de Daniel Dezeuze (Grotesque), Claude Viallat (Conan) et de Jean-Louis Vila (La Méduse et le Paon). Tous, excepté ceux qui se sont tournés vers d’autres horizons, comme Claude Minière (1938) ou Christian Arthaud (1956), et les disparus prématurément : Jean-Christophe Leuwers (1971-2001) ; Yves Froment (1939-2003) – dont Philippe Boutibonnes salue la mémoire à l’orée de ses « Moches z’heures ». Ainsi, en détournant un peu la dernière phrase du chef de file dans son introduction à l’anthologie de TXT : « TXT n’est pas mort, tout recommence autrement, le nouveau est invincible »[2].

Ces revenants vont-ils nous proposer ce qui au fond ne constituerait dans l’espace poétique actuel que d’ « autres piétinements » (cf. p. 45) / d’autres piètres niements ? Tout d’abord, un petit rappel : TXT, c’est un refus de la lissetérature – pour reprendre un néologisme de Dominique Meens, auteur P.O.L qui, adepte des écritures exigeantes, se joint logiquement au groupe –, une ascèse même et surtout carnavalesque visant à « vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego, naturalise et mysticise, rêve d’amour et d’union, dénie obscurités, obscénités, chaos et cruautés, décore le monde et marche à son pas » (p. 1). La suite confirme que ce préambule, même s’il a été écrit à quatre mains, porte bel et bien le sceau de Christian Prigent, pour qui le temps est (re)venu de s’adresser à cet « énergumène symbolisateur » que constitue fondamentalement tout être humain. Car, plus que jamais nous sommes des séparés, maintenus à distance d’une expérience authentique du monde par le puissant écran d’une hypercommunication immondialisée. Et l’horrible trouvailleur (formule de Le Pillouër) de rappeler, en des termes à la fois pongiens et batailliens, la nécessité d’un réelisme poétique : « Notre monde, le monde informe des réseaux de communication, le monde lié, ne communique rien. Rien = clichés, humeurs, confidences, fake news. Dans le travail poétique, au contraire, l’expérience cherche ses formes propres, ses rythmes sensibles. On veut trouver des équivalents verbaux justes à ce qui, des vies, est mal nommé, mal pensé, non encore nommé. Et on regarde en face le mal (malaises, obscurités, folies, exploitations, coercitions, violences) » (p. 3). Aussi, relancer TXT avec les recrues du pôle caennais (Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoann Thommerel), mais aussi le peintre Mathias Pérez, ancien directeur des regrettées Fusées qui a donné au numéro une intrigante femme trouée, c’est assurer la survie de la revue moderne (un 33numéro est déjà en vue !), à laquelle, dès le début de l’aventure Fusées, l’ancien directeur de TXT assignait cette mission : « Le moderne est le spectre (hantise, dissolution, analyse, négatif) du présent comme fuite des significations hors du corps légendé (historisé ou futurisé) des pensées, des images et des langues. Dire le moderne c’est dresser la hantise de ce spectre au creux du dessin de ce qu’il hante : la vie programmée, formatée, comptée, boursicotée, publicitée, plébiscitée, médiatisée, idolâtrée.[3]» /Fabrice Thumerel/


*****
En mai 2019 paraîtra TXT n° 33, entremêlant une littérature qui cherche à produire un bruit neuf, des œuvres de plasticiens et des rubriques almanachiques : solutionnages miraculeux, célébrages farcesques, craductages trilingues, délectages littéraires et force décervelages pour chaque mois !
La Mél et la librairie Tschann s’associent au groupe TXT pour fêter ce retour à l’occasion d’une rencontre au Reid Hall. Entrée libre, dans la limite des places disponibles.
Directrice de la Mel : Sylvie Gouttebaron

Contact Presse : Lisette Bouvier
     l.bouvier@maison-des-ecrivains.asso.fr




[1]Grâce à José Lesueur, la série complète est disponible en ligne, hors-séries inclus : http://revue-txt.blogspot.fr. On pourra également se référer à Fabrice Thumerel, Le Champ littéraire français au XXesiècle, Armand Colin, 2002 ; « Revue et révolution littéraire : TXT(1969-1993) », p. 103-112.
[2]Christian Prigent, « Légendes de TXT », TXT 1969 / 1993. Une anthologie, Christian Bourgois éditeur, 1995, p. 10.
[3]Id., « Une revue de la vie moderne », Fusées, Carte Blanche, Auvers-sur-Oise, n° 4, 2000, p. 3. Cf. Fabrice Thumerel, « Fusées, une revue moderne », La Revue des revues, n° 34, 2003, p. 99-106.

jeudi 1 juin 2017

Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue

La photo collective lors du Colloque de Cerisy Prigent (1-7 juillet 2014)



Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue. Avec des inédits de Christian Prigent (Actes du Colloque international de Cerisy), Paris, Hermann, collection "Littérature", mai 2017, 556 pages, 34 €, ISBN : 978-2-7056-94-10-4.

Présentation 


Depuis 1969 où il fait paraître son premier livre, La Belle Journée, Christian Prigent s’est fait un nom si bien que, quelques soixante deux livres plus tard et deux cents textes publiés hors volume, il est maintenant reconnu comme l’une des voix majeures de la création littéraire (notamment poétique) contemporaine des quarante dernières années. Aucun colloque ne lui avait été consacré en propre jusqu’à celui organisé en 2014 au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Ce volume a réparé ce manque et constitue par ce fait même un ouvrage totalement original et immédiatement charnière pour l’approche de ce créateur.
Ouvrage charnière, en effet, car animé par un double objectif. Il s’agissait d’abord, en
rassemblant les meilleurs spécialistes de cet écrivain, de dresser une premier bilan sur les recherches déjà engagées, surtout à partir des années 1985-1990, et portant sur quarante-cinq ans d’écriture, que la réflexion ait concerné Christian Prigent en tant qu’auteur d’une œuvre personnelle protéiforme expérimentant tous les domaines (poésie, essai, roman, théâtre, entretien, traduction, chronique journalistique, lecture de ses textes) et dont il a su déplacer les frontières, mais aussi en tant que revuiste passionnée, lié à un grand nombre de livraisons poétiques, théoriques, artistiques, et ayant lui-même co-fondé la revue d’avant-garde TXT (1969-1993), avec la volonté de démarquer un espace éditorial différentiel par rapport à Tel Quel. Le fil conducteur de la langue, tant ouvertement réfléchie par l’écrivain dans ses essais ou ses fictions, récits et poèmes, s’imposait. L’autre objectif était d’ouvrir de nouveaux champs de recherche et d’infléchir vers des nouvelles directions une réception qui jusqu’à présent était restée trop soumise à la force de théorisation auctoriale de Prigent et dont il n’est pas si facile de s’émanciper, tant les formulations sont solides – on pense au prisme des lectures maoïsto-lacano-Bakhtiniennes très développées par l’auteur dans ses essais réflexifs, en particulier d’avant 1990, et dont il s’émancipe lui-même progressivement depuis quelques années.

Ouvrage original donc : par la première collection aussi importante d’études consacrées à
Judith Prigent, "Christian Prigent de face"
l’auteur. Mais ouvrage original aussi par sa facture plurivocale délibérée. En effet, les interventions d’écrivains – de l’auteur même et de ses amis de TXT présents au colloque – dialoguent avec les entretiens d’artistes (acteurs, cinéaste, peintre) et avec les interventions de journalistes et d’universitaires français et étrangers du monde entier (États-Unis, Japon, Brésil notamment), tous spécialistes du champ littéraire extrême contemporain, commentateurs de longue date de Christian Prigent ou voix critiques plus récents. Les genres sont mêlés (inédits d’écrivains, entretiens, essais et communications universitaires) comme les supports (textes, dessins, photogrammes) à l’image de la convivialité et de la mixité qui a été celle du colloque et qui transparaît à l’état vif, en particulier dans les « entretiens ».

Enfin cet ouvrage se distingue par l’implication forte de Christian Prigent, présent durant tout le colloque et à nouveau ici par les archives, textes et dessins inédits donnés en première publication.



Petit florilège


Bénédicte Gorrillot : « Peut-être faut-il privilégier "langue" aux plus abstraits "langage", "discours" ou logos, pour aborder l'œuvre de Christian Prigent, parce que sa/ses lingua(e) (dérivée(s) de lingo) s'acharne(nt) à lécher le corps sensuel du réel, essaie(nt) d'en arracher un peu de chair (de présence), par les mots sortis de la bouche..., sans être pour autant réductible à la seule lalangue lacanienne - ce "bouillon" de matière sonore transmis par la mère [...] » (p. 26-27)

Fabrice Thumerel : "En milieu prigentien, le réel-point zéro a pour nom Dieu, Nature ou corps : innommable, le réel n'existe qu'en langue (réel-en-langue) ; inatteignable, ce point zéro rend paradoxal tout réalisme – l'objectif visé se dérobant sans cesse (et c'est ce ratage même qui constitue l'écriture). Ce réel-point zéro est le point d’asymptote non seulement entre art et réalité, mais encore et surtout entre prose et poésie [...].
Ce réel-point zéro est ainsi le point d’intersection entre l’axe syntagmatique – celui du récit linéaire, de la figuration, de la coagulation du sens par référence à des réalités psychologiques, historiques et socioculturelles – et l’axe paradigmatique – celui, poétique, de la dé-figuration, des choix lexicaux et rythmiques, des associations libres, des jeux de signifiés et de signifiants" (p. 146).

Christian Prigent : "Réel : non-savoir, il-limité.
Réalité : savoir, limité.
Écrire : sous la poussée du non-savoir - pour il-limiter la limite.
Ce qu'écrire représente (n')est (que) le il de l'illimité, le in, la négation (la destruction du déjà-écrit)" (p. 473).

Dominique Brancher : "Chez Rabelais comme chez Prigent, la soufflerie textuelle polyphonique, en boyau de cochon, raille la pompe des grandes orgues littéraires.
Le carnaval s’y dénonce comme un masque antigel, en perpétuelle mutation. Le « parlé caca » fait glisser la langue de l’énonciateur mais aussi celle de l’interprète, forcé d’interpréter à plus bas sens, et le parler cochon tourne infatigablement autour du trou, sans jamais faire mouche" (p. 244).

Nathalie Quintane :

"La génération de 90 reprend plus ou moins ce bilan de fin de partie à son compte : pas de souveraineté de la littérature, nécessité de défaire cette sacralité, etc. Comme Prigent le rappelle, la littérature ne se confond pas avec les discours ambiants, mais découpe et prélève dans ces discours (cf. le retour du cut up et ses diverses déclinaisons en termes de « sampling/virus »), produisant des effets d'hétérogénéité, d'étrangement, à l'intérieur même de ces discours.

Ce qui est sûr, c'est que cet hétérogène-là n'est pas exception (« grandes irrégularités ») et ne s’oppose pas par définition à la société démocratique moderne. Il s'y reconnaît en la reconnaissant comme contexte, ce qui ne signifie pas qu'il l'accepte sans critique – ni qu'il (n')en fait, se faisant, la critique.

Non seulement, donc, il n'y a plus d'exception littéraire, mais il faut sortir de la littérature, ou de la « poésie ». Or, si la littérature/poésie se confond avec les « grandes irrégularités de langue », avec langagement, alors Prigent produit plutôt un effort continu pour ne pas en sortir (qui comprend la
Prigent, "Verheggen en Phébus"
difficulté d'y rester)" (p. 312).

▶ Christian Prigent : "Extraits de lettres à Jean-Pierre Verheggen"

Vraiment bien "touillé" le montage commenté par Jean-Pierre Verheggen !
On retiendra, entre autres, la lucidité du directeur de TXT : "Attention à l'installation dans un langage carambolesque qui (lui aussi) peut tourner au poncif" (p. 344).
Et l'humour, un peu caustique ici car il ne s'agit pas de donner dans le Change : « Change devient la NRF de l'"avant-garde" ; une poubelle en polystyrène au lieu d'une corbeille en inox, c'est tout » (p. 353).

Table des matières


Avant-propos, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel
Bénédicte GORRILLOT : Pour ouvrir


Chapitre I Chanter en charabias (ou trou-vailler "la faiblesse des formes")
Laurent FOURCAUT : Dum pendet filius : Peloter la langue pour se la farcir maternelle
Jean RENAUD : La matière syllabique
Tristan HORDÉ : Christian Prigent et le vers sens dessus dessous
Bénédicte GORRILLOT, Christian PRIGENT : Prigent/ Martial : trou(v)er le traduire
Marcelo JACQUES DE MORAES : Trou(v)er sa langue par la langue de l’autre : en traduisant Christian Prigent en brésilien
Jean-Pierre BOBILLOT : La « voix-de-l’écrit » : une spécificité médiopoétique ou Comment (de) la langu’ se colletant à/avec du réel trou(v)e à se manifester dans un mo(t)ment de réalité

Chapitre II. L'Affrontement au réel "des langues-en-corps"
Fabrice THUMEREL : Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la « matière de Bretagne »)
Philippe BOUTIBONNES : Et hop ! Une, deux, trois, d’autres et toutes
Philippe MET : Porno-Prigent, ou la langue à la chatte
Jean-Claude PINSON : Éros cosmicomique
Éric CLÉMENS : La danse des morts du conteur

Chapitre III. "Le Bâti des langues" traversées

Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue
Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent
Hugues MARCHAL : Une sente sinueuse et ardue : les sciences dans Les Enfances Chino
Éric AVOCAT : La démocratie poétique de Christian Prigent. Tumultes et mouvements divers à l’assemblée des mots
Nathalie QUINTANE : Prigent/Bataille et la « génération de 90 »
Olivier PENOT-LACASSAGNE : La fiction de la littérature
David CHRISTOFFEL : Les popottes à Cricri

Chapitre IV. De TXT à l’archive : l’interlocution contemporaine des langues-Prigent
Jean-Pierre VERHEGGEN : Le bien touillé (extraits de lettres de Christian Prigent à Jean-Pierre Verheggen, 1969/1989)   
Jacques DEMARCQ : « Prigentation d’Œuf-glotte »
Alain FRONTIER : Comment j’ai connu Christian Prigent
Christophe KANTCHEFF : Le trou de la critique. Sur la réception de l’œuvre de Christian Prigent dans la presse  
Typhaine GARNIER : L’écrivain aux archives ou le souci des traces
Jean-Marc BOURG, ÉRIC CLÉMENS : Comment parler le Prigent ?
Vanda BENES, Éric CLÉMENS : Pierrot mutin
Ginette LAVIGNE, Élisabeth CARDONNE-ARLYCK : Sur La Belle Journée
Christian PRIGENT : JOURNAL. Décembre 2013/janvier 2014 (extraits)

Postface : fin des « actions » ?, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel
Bibliographie générale
Les auteurs
Table des illustrations

samedi 1 novembre 2014

[Actualité] Les automnales de Christian Prigent

Dans ces automnales, deux RV avec Christian Prigent (à Berlin et à Nantes) ; la mise en ligne de la collection TXT ; la prochaine parution d'un nouveau volume (La Langue et ses monstres, P.O.L, nouv. version).




Christian Prigent à Berlin. Le samedi 27 Novembre 2014, 20h. A propos de la traduction en allemand de L'Âme (POL, 2000), lecture et discussion. A «lettretage», Mehringdamm 61, D-10965-BERLIN. Contact : Katharina Deloglu, 0151-59 17 26 50. Voir http://comment.lettretage.de/category/christian-prigent

Christian Prigent à Nantes. Le mardi 16 Décembre, 20 h 30.  Grand-mère Quéquette, Demain je meurs, Les Enfances Chino. Lecture-rencontre organisée par le CAP (Culture, Art, Psychanalyse). Salle Vasse, 18 rue Colbert, 44000-Nantes. Contact : CAP Nantes, 06 10 28 64 88. 


* La mise en ligne de la collection intégrale des TXT est entreprise par José Lesueur sur son blog Cantos Propaganda : vous pouvez déjà découvrir les cinq premiers numéros dans leur intégralité.

* À paraître le 14 novembre : Christian Prigent, La Langue et ses monstres (nouvelle édition, P.O.L : 11 textes relus + 9 textes en plus).
La Langue et ses monstres est un recueil de vingt essais portant sur des écrivains de la « modernité ».
Les onze premiers figuraient dans l’édition princeps de l’ouvrage (chez Cadex, en 1989). Ils concernent d’abord quelques figures emblématiques du XXe siècle : Gertrude Stein, Burroughs, Cummings, Khlebnikov, Maïa­kovski ; puis des vivants remarquables apparus dans le dernier quart dudit siècle : Lucette Finas, Hubert Lucot, Claude Minière, Valère Novarina, Marcelin Pleynet, Jean-Pierre Verheggen.
Ces textes avaient été rédigés entre 1975 et 1988 dans le contexte des débats d’époque (la fin des avant-gardes historiques et l’effort de quelques-uns pour maintenir, envers et contre toute liquidation réac­tionnaire, l’exigence d’expérimentation littéraire). Tous ont été repris et corrigés dans l’intention d’en éliminer le plus crispé par les polémiques du temps et le plus marqué par un vocabulaire théorique daté. Le même objectif a conduit à éliminer pour cette réédition le préambule et le bilan de l’édition originale.
Les neuf essais suivants ont été composés entre 2005 et 2014 pour des revues, des préfaces, des actes de colloques. Tous ont été refondus pour la présente édition. Ils réfléchissent sur Jouve, Artaud, Ponge, Pasolini, Jude Stefan, Bernard Noël, Éric Clémens, Christophe Tarkos. De Jouve à Tarkos (1990) ils encadrent donc historiquement les onze textes qui précèdent. Du point de vue de la théorie littéraire et de l’analyse stylistique, ils tentent de réfléchir sur ce qui constitue, en dehors de toute préoccupation « avant-gardiste », un effort « moderne » d’invention écrite. Et ce jusqu’à l’apparition récente des textes de Christophe Tarkos, qui nous ont invités à repenser, une fois de plus, les causes et les effets de cet effort.
Ce livre n’est donc pas qu’une réédition mais, largement, un ouvrage nouveau. On y trouve des propositions sur les fameuses « grandes irrégularités de langage » (Georges Bataille) inventées par les poètes les plus déroutants du XXe siècle : les poétiques « anamorphosées » de Cummings ou de Bernard Noël, l’érotisme à la fois savant et énergumène de Pierre Jean Jouve ou de Jude Stefan, la « violangue » telle que la pratique un Jean-Pierre Verheggen, le « babil des classes dangereuses » réinventé par Valère ovarina, le « jeu de la voix hors des mots » dans les poèmes zaoum de Khlebnikov, les « glossolalies » façon Antonin Artaud, le « cut up » de William Burroughs, etc.
Mais, au delà, bien d’autres questions sont évo­quées : le rapport littérature/science/philosophie (chez Sade ou chez Clémens), le lien entre les choix stylistiques et les postures politiques (chez Maïa­kovski, Ponge ou Pasolini), l’articulation entre les monstrueuses reconfigurations verbales que pra­tiquent tous ces auteurs (ainsi Vélimir Khlebnikov ou Antonin Artaud), les crises subjectives dont elles sont l’effort de résolution et l’impact qu’elles rêvent envers et contre tout d’avoir sur le corps social qui en reçoit les coups.
Le pari est que ces questions ne sont pas, quoi qu’on en dise ici et là, de vieilles lunes. Mais des interrogations fondamentales. Fondamentales en tout cas pour les lecteurs qui ne se contentent pas de fables distrayantes, de sociologie romancée ou de suppléments « poétiques » à la rudesse des vies. Fondamentales pour ceux qui voient dans la litté­rature une expérience radicale de ce qui nous parle et nous assujettit. Une expérience qui n’a d’intérêt que si ses voix excentriques traversent les repré­sentations couramment admises pour composer de nouveaux accords avec le désir des hommes, leur angoisse, leur sensation d’un monde vivant.
Ceux dont parle La Langue et ses monstres ont relevé ce défi. L’auteur des essais qu’on trouve dans ce livre a d’abord tenté de se rendre plus clairs les effets que quelques oeuvres « monstrueuses » exerçaient sur lui. Cet effort a fait lever des questions : de quoi parlent ces oeuvres qui nous mènent « au bord de limites où toute compréhension se décompose » (Bataille) ? quel « réel » représentent-elles dans leurs étranges portées ? de quelle nature est la jouissance sidérée qu’elles provoquent en nous ? de quels outils dispo­sons-nous, et quels autres devons-nous forger pour en déchiffrer les intentions ? en quoi ce déchiffrement peut-il nous aider à mieux évaluer ce dont on parle en fait quand on parle de littérature (l’ancienne comme la moderne et aussi bien la plus contemporaine).

samedi 12 juillet 2014

[Chronique] Autour de Christian Prigent à Cerisy, par Fabrice Thumerel


Christian Prigent : trou(v)er sa langue

(colloque de Cerisy organisé par Bénédicte Gorrillot, 

Sylvain Santi et Fabrice Thumerel)

Photos : tous droits réservés à leurs auteurs (F. Thumerel et B. Gorrillot) ; photos officielles (en noir & blanc).


C. Prigent, J.-P. Verheggen et A. Frontier
Autour de Christian Prigent, pour de vrai. Pas d'une icône. Nulle statue de bronze ni de cire, nulle sanctification (Saint-Bouche ? Saint-Trou ? Saint-Broc ? Saint-Troc ? Saint-Froc ? Saint-Chie ? Saint-Chiot ? Saint-Chino ? Saint-Coco ? Saint-Zoo ? Saint-Zozo ? Saint-Zigoto ? Saint-Glotte ? Saint-Crotte ? Saint-Orœil ? Saint-TXT ? Saint-Raté ? Saint-Dérapé ? Saint-Dératé ? Saint-Excès ? Saint-Nié ? Saint-Délié ? Saint-Eros ? Saint-Tas d'nonos ? Saint-Ubu ? Saint-Tordu ? Saint-Catastrophe ? Saint-Carnaval ? Saint-Sens-du-Non-Sens ?). Une relation, pour de vrai : un groupe uni dans l'agir communicationnel, une communauté ouverte (dans l'espace et sur l'avenir).

Vanda Benes, Anne-Sophie Miccio et Typhaine Garnier
Entouré de quelques amis du groupe TXT (Philippe Boutibonnes, Éric Clémens, Alain Frontier et Jean-Pierre Verheggen), d'artistes divers (acteurs, peintres, cinéastes, musiciens) et de dizaines de lettrés et d'universitaires, Christian Prigent s'est investi avec une rare énergie sans chercher à occuper une intenable position auctoriale : sa voix a résonné au cours de ses lectures (soirée inaugurale et ouverture de chaque séance), mais aussi à l'occasion du film signé Ginette Lavigne ( La Belle Journée, 2010), de la soirée poétique à laquelle il a invité trois poètes de la génération suivante (Abbaye d'Ardenne / IMEC : Bruno Fern, Christophe Manon et Sylvain Courtoux), des performances exceptionnelles données par Vanda Benes et Jean-Marc Bourg (Peep-Show pour la première et "Comment se dit Commencement" pour le second), et enfin du récital offert par Vanda Benes et Typhaine Garnier ("Les Chansons du Lapin Rouge", composées par Jean-Christophe Marti sur des textes de Christian Prigent).


Le premier colloque international entièrement consacré à l'œuvre d'un écrivain désormais reconnu comme un classique de la modernité, "Christian Prigent : trou(v)er sa langue", avait pour objectif de faire le point sur quarante-cinq ans d'activité protéiforme : le directeur de TXT (1969-1993), qui n'a jamais cessé de s'intéresser à l'univers des revues, s'est en effet illustré dans tous les domaines (poésie, essai, roman, théâtre, entretien, traduction, chronique journalistique, lecture de ses textes) - dont il a su déplacer les frontières, les marquant ainsi de son empreinte. La problématique retenue était une invitation à réfléchir non seulement sur la langue de l'auteur (lalangue) et son rapport aux langues comme à la Bibliothèque, mais encore sur la fatalité de toute langue (comment en sortir ? surtout pas par la langue...) et sur la nécessité pour l'écrivain de trouer les discours dominants afin de trouver sa langue.
Schéma de Philippe Boutibonnes


Le premier fait remarquable est la variété des approches (poétique, intertextuelle, érudite, psychanalytique, linguistique, philosophique, historique, sociologique, politique...), qui a permis de déborder un premier espace de réception orienté par l'auteur (avant-gardes et modernité négative, revue TXT, lectures lacanienne et carnavalesque orthodoxes) et d'aborder aussi bien la réception journalistique de l'œuvre que la nouvelle donne introduite en 2012 par le premier dépôt d'archives (la présentation du fonds Prigent à l'IMEC - Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine - a été menée par Yoann Thommerel et Typhaine Garnier).
L'auteur et les organisateurs
On notera également que le spectre entier de l'œuvre a été couvert, des premiers (Power / powder, 1977 ; Œuf-glotte, 1979 ; Voilà les sexes, 1981 ; Peep-Show, 1984 ; Deux dames au bain, 1984) aux derniers textes de poésie (Météo des plages, 2010 ; La Vie moderne, 2012), des nombreux essais et entretiens aux fictions de la "matière de Bretagne" (Commencement, 1989 ; Une phrase pour ma mère, 1996 ; Grand-mère Quéquette, 2003 ; Demain je meurs, 2007 ; Les Enfances Chino, 2013).
Enfin, le dialogue avec les autres écrivains présents a été particulièrement fécond : le drôle et émouvant Jean-Pierre Verheggen a lu une petite partie des lettres qu'il a reçues de son vieil ami ; Jean-Claude Pinson a décentré la perspective vers la poéthique ; Jean-Pierre Bobillot vers la mediopoétique ; Nathalie Quintane vers le dialogue entre modernité et postmodernité ; David Christoffel vers le kitch... Les autres décentrements ont été favorisés par des débats animés entre tel ou tel acteur historique et les exégètes d'aujourd'hui, et autour de l'antinomie moderne / antimoderne, des pratiques du montage...

Pour toutes ces raisons, ce colloque constitue sans aucun doute un tournant dans les études prigentiennes.